lundi 22 octobre 2007

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Le calme de la mer par beau temps et le rire ont été deux mots très proches. Dans tous les deux se trouve un éclat de soleil, une joie qui illumine. La pupille était de la famille, la flamme de la prunelle. Reflets, rayonnements : le chemin le plus court et le temps le plus prompt. Le principe de moindre action pour la lumière vaut pour la beauté. Elle arrive dans un visage quand rien n'a contrarié son arrangement. Je ne suis pas sûr. Un lacet défait, un ongle cassé, une vessie trop pleine : une idée perdue.

Marcher me fait toujours penser à une phrase de Don DeLillo : « On fait de longues promenades qui sont comme des épisodes de romans français ». Ce n'est pas un compliment : moins de nostalgie que de dérision. A la page suivante il parle de son « envie d'errance solitaire dans une sorte de vacuité européenne ». Les phrases s'attrapent comme un rhume. Les mélodies aussi, les opinions, les certitudes, les illusions sont partagées. Mais le privilège va à ce qui ne se met pas en commun. L'exemple de l'employé municipal de Crémone payé pour jouer tous les matins du « Crémonèse », le stradivarius que possède la ville. L'exemple d'Hélène.

Eschyle évoque à propos d'Hélène la surface lumineuse de la mer. Elle est la lumière du matin. Qui brille encore dans la Lena Grove de Lumière d'août. Elle est « la toute belle chose » d'Euripide. Née pour perdre les vaisseaux, envoyer les vivants chez Hadès, dans l'Invisible. Quand une voile s'éloigne de la côte, la courbure de la mer la fait disparaître au regard. C'est une sorte d'enlèvement. Enlever et être enlevée, Hélène le porte aussi dans son nom. Il y a quelques petits siècles les Français croyaient encore descendre de Francion et de ses compagnons qui avaient quitté Troie en flammes. Ou bien qu'ils avaient été les ancêtres des Troyens, dompteurs de cavales. Pour venger leur cité anéantie, ils allèrent, pendant les stupides Croisades, détruire la statue d'Hélène à Constantinople.

Nous naissons prisonniers d'une époque, d'une ignorance, mais notre temps de vie est le bon moment pour profiter tranquillement de l'existence. Xerxès pleura en regardant son armée franchir l'Hellespont « puisque personne, parmi ces soldats, qui sont si nombreux, ne sera encore là dans cent ans ». L'armée mit sept jours et sept nuits pour traverser, un million sept-cent mille hommes, compte Hérodote. Selon Roger Penrose, le mathématicien d'Oxford, une vie humaine (1010 secondes) est « presque aussi longue que celle de l'univers » (1020 secondes). Une échelle logarithmique, évidemment, mais la manière de voir « la plus naturelle quand on a affaire à des rapports de grandeur énormes ».

Dans une page comme celle-ci, avec une échelle appuyée sur la durée du langage, on verrait un rectangle de rangées de vigne, on tiendrait une grappe de raisin dans la main (karpos, le fruit, et aussi la partie, entre le poignet et les doigts, qui le saisit). Les mots sont devenus plus difficiles à cueillir. Un responsable de la maison Larousse : « Lorsqu'on trouve dans un autre ouvrage un même mot et la même définition, c'est qu'il y a plagiat ». Un marchand de lourds dictionnaires affirme qu'aucun mot ne peut recevoir une définition stable et immuable. Toutes langues confondues, il existerait 6.000.000 de mots, autant que d'espèces animales encore vivantes. Louis Agassiz, paléontologue, géologue, ichtyologue, considérait que les espèces étaient les pensées individuelles de Dieu incarnées pour que nous puissions connaître son message. Il n'accepta jamais le darwinisme. Sait-on quel message étaient venues transmettre les 1700 espèces réunies dans ses Recherches sur les poissons fossiles ? On le connaît maintenant. Le message est : la nature soutient de préférence l'intelligence.

C'est ce que dit Haikouella lanceolatum, une gracieuse créature de deux ou trois centimètres apparue il y a 530.000 millions d'années et découverte emprisonnée dans des schistes du Yunnan par l'équipe chinoise de M. Chen. Toutes les souches
animales apparurent d'un coup dans « l'explosion du Cambrien » (sauf les minuscules Bryozoaires). Mais il manqua longtemps une trace des vertébrés. L'ancêtre de l'homme, supérieur à tous, ne pouvait apparaître avec les arthropodes et les mollusques et seulement au bout d'une longue évolution. Avant le Cambrien, des bactéries, rien que des bactéries – quelques humbles éponges. Et soudain tout le monde est là. Des tentacules, des pinces, des dents : la prédation commence. Les tueurs règnent : Anomalocaris, le Nautiloïde, le Scorpion marin géant.

L'empreinte dans la pierre, aussi précise qu'une photographie, montre deux jolis yeux ronds de part et d'autre d'un cerveau bilobé, des fibres musculaires, un cœur, un œsophage, une « chorde neurale », de quoi se reproduire, pas encore de squelette. Comment la tendre Haikouella, qui portait les espoirs des poissons, des amphibiens, des reptiles, des oiseaux, des mammifères, comment avons-nous survécu aux extinctions ? Loterie, disait S.J. Gould. L'homme était si improbable qu'il est seul dans l'univers.

M.Chen prit son Haikouella dans sa main et clama : le dernier grand tournant dans la marche vers l'humanité ne s'est pas produit à la fin du processus évolutionnaire, mais au début. La seule sélection naturelle et les mutations auraient perpétué sur la Terre un monde de bactéries. M.Chen a une autre explication. Il parle d'Harmonie entre les formes de vie. L'évolution n'est qu'une religion – ou une politique – occidentale.

Haikou est un nom de ville mais le petit animal qui privilégia le cerveau était un véritable haiku. Un éclat de lumière, la vive saisie du présent, la brièveté de la réponse. La pensée commença à devenir sa nature. Le chemin le plus court et le temps le plus prompt.

Notre chair : voyelles sur le squelette des consonnes. Pour survivre les jeunes Perses apprenaient trois choses : monter à cheval, tirer à l'arc et savoir dire la vérité.

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