lundi 1 octobre 2007

(La vie) continue…

Au cours d'une nuit, alors qu'il traversait cet océan, Eddington, sir Arthur Stanley Eddington, l'astrophysicien qui confirma la théorie de la relativité, calcula le nombre des protons contenus dans l'univers : « Je crois qu'il y a 747 724 136 275 002 577 605 653 961 181 555 468 717 914 527 116 709 366 231 425 076 185 631 031 296 protons dans l'univers et le même nombre d'électrons. » Sa conviction était que l'on peut déduire les lois de la Nature par la seule pensée. Il avait extirpé de l'ignorance la constitution interne des étoiles. Pour qu'un être vivant soit simplement capable d'y songer, l'univers devait au moins avoir dix milliards d'années et mesurer dix milliards d'années-lumière, de vieilles étoiles devaient avoir explosé pour disperser les éléments lourds indispensables à l'existence d'une vie consciente et curieuse.

Un soir de printemps, trois hommes marchent sur la plage d'Ostie. Ils discutent des conditions nécessaires au bonheur parfait. Ce sont les Nuits Attiques, écrites au deuxième siècle et qualifiées aujourd'hui de « blog antique ». L'auteur, Aulu-Gelle, n'est connu que par son nom, il parle de tout ce qui vient à son désir de parler : l'attachement d'un dauphin à un enfant (ils partagèrent la même tombe), l'introduction de la lettre h dans l'alphabet (elle donna corps et éclat à des paroles par une aspiration), la vertu du nombre 7, l'interdiction faite aux obèses de monter à cheval. Il montre ailleurs comment le sens du mot obèse, qui d'abord signifiait « rongé », « miné », « maigre », « anorexique », devint à l'époque impériale « qui ronge », « qui dévore » : « gras ». Ce que l'on croit connaître n'est jamais assuré par les mots qui le font savoir.

Les trois amis cèdent la partie aux étoiles et rentrent se coucher. Dix-huit siècles après leur promenade, le corps de Pasolini assassiné était retrouvé sur cette plage d'Ostie, un matin de novembre. Un autre écrivain latin, de la même époque, l'apogée de l'empire (Minutius Felix), décrit la promenade de trois nouveaux amis. Ils quittent Rome à l'aube pointue et suivent une rive du Tibre jusqu'à Ostie. « Nous éprouvions une extraordinaire volupté à laisser sur le sable une légère empreinte de nos pas. » Ils discutent de la vérité métaphysique, que peut-on savoir du ciel ? Sur la plage, ils observent des enfants qui font rebondir sur une mer calme des tessons de terre cuite polis par les vagues. Ils s'assoient sur un muret, saisis par la pureté de ce jeu et l'innocence des joueurs. Le geste du lancer est minutieusement décrit, si bien que le texte a été proposé à une des dernières épreuves du bac de physique/chimie : Comment faire des ricochets sur l'eau (« donner l'exemple de l'énergie mécanique DE de la pierre à l'instant de date t dans le champ de la pesanteur » : une autre époque).

« Cum eximia voluptate molli vestigia cedens harena [voilà le h] subsideret ». Ce n'est pas un astrophysicien qui va calculer la part de volupté à l'œuvre dans l'univers, quelle que soit son origine.

Les liaisons de pensée, elles nous relient. Ostie, la plage finale de la Dolce Vita. Laura Betti (l'amie, la compagne, l'accompagnatrice prochaine de Pasolini) appelle : « Venez voir, ils ont pêché un monstre » et, de l'autre côté d'un bras de mer, la voix inaudible et le visage souriant d'un ange. Laura Betti qui souffrit d'obésité. Morte il y a trois ans. Heureux qui a connu ses spaghettis divins.

« Nouvelles » ne veut pas dire nouvelles et « ordinaires » ne signifie pas ordinaires. Le prétendu premier journal, la Gazette de Renaudot, est venu après les Nouvelles ordinaires de divers endroits, de Jean Martin « sur le pont St-Michel, à l'Ancre double », et Louys Vendosme, dans la cour du Palais, à l'enseigne « A la ville de Venise ». Appuyé par le Conseil du roi, Renaudot, avec son plagiat, obtient le privilège exclusif et inaugure ainsi l'histoire générale de la presse française. « Ordinaires » ne raconte pas l'habituel, l'opposé de l'extraordinaire, mais ce qui est mis en ordre, l'enchaînement, le courrier à date fixe, la continuité. « Nouvelles » désigne ce qui vient de pousser, qui est jeune, récent, le nom du journal (ce qu'un œil peut lire en une journée) avant le mot de « journal ».

Et ce n'est pas la vie qui continue. La vie est sans continuité. Nous parvenons à la partager grâce à cette certitude.

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