jeudi 11 octobre 2007

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Les douze verbes les plus employés, les douze premiers désirs partagés (être, avoir, faire, dire, aller, voir, savoir, pouvoir, falloir, vouloir, venir, prendre) sont tous irréguliers. Depuis si longtemps décisifs pour l'existence, le désir et la liberté personnelle, ils ont conservé des formes disparues. Je vais, j'irai, j'allais : une collection d'anciennes formes latines (vadere, ire, peut-être ambulare). Les mots sont utilisés sans comprendre ce qu'ils sont, ce qu'ils ont, ce qu'ils font, ce qu'ils disent, où ils vont, ce qu'ils voient, savent, peuvent, ce qu'il leur faut – c'est-à-dire ce qu'il leur manque – « falloir » appuyé sur « faillir » – ce qu'ils veulent, pourquoi ils nous viennent et ce qu'ils nous prennent.

La main qui déroulait un bas nylon sur une jambe jusqu'aux boutons de la jarretelle ne se préoccupait pas des liaisons hydrogènes qui lui donnaient sa douceur et sa résistance. Marilyn Monroe pensait-elle à ce qui se passait dans les mitochondries des cellules bienheureuses de ses cuisses ? Qui s'occupe de descendre en lui-même jusqu'à l'atome, le champ de particules, et l'Océan de Planck, dans le présent infini du monde, le tout à la fois que personne ne parvient à penser ni à dire et qui se manifeste dans la singularité ?

Comme la nationale 7 menait plus sensuellement à la mer que l'autoroute du soleil, comme la 66 étendait la Mother Road de Chicago à San Francisco
dans de plus vastes prairies que les quatre voies de l'Interstate 40, la Route de la Réalité emprunta un jour les chaussées à sens unique du dualisme. « The Road to reality. A complete guide to the laws of the universe, Roger Penrose. Traduction française, A la découverte des lois de l'univers. La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique. « La future Bible de la physique du XXIème siècle ». Mille et cent et quelques pages. A l'avant dernière, après avoir déployé, théorie par théorie, les étendards de la science, Penrose lâche que « nous ne sommes pas sur la route de la réalité ».

Nous roulons sur Mulholland Drive. A quelques courts millimètres, quelques brèves secondes de la réalité, mais dans le mystère de la nuit. Pourtant, Penrose est, parmi les vivants qui ont enseigné et publient, celui qui en est le plus proche. Penrose is Penrose is Penrose. Il sait. Il échoue à le dire. Bientôt, la route de la réalité ne séparera plus, avec des rails de sécurité, la physique et l'esprit. Il lui faut un concept, une idée simple, « quelque chose que personne n'a vu ». Penrose prédit qu'une femme la verra (il est devenu difficile d'en rester à un homme pour une telle annonciation).

Quelle est cette côte, mes amis ? – C'est l'Illyrie, madame. Tempête shakespearienne et naufrage. Viola déguisée en Cesario. Quand Sébastien sort de son tombeau marin il se retrouve devant lui-même, une pomme coupée en deux : Antonio – « Comment avez-vous pu vous dédoubler ainsi ? »

Entremêlements, symétries, corrélations, probabilités. Cela se passe là-dedans. Qu'est-ce que l'intelligence ? Et la matière ? Les probabilités, oui, non, peut-être. La matière de l'âme (Plotin). Oui, non, peut-être pas. La chance. C'est par la chance que ça a commencé.

Pourquoi Penrose n'a-t-il pas trouvé l'idée simple ? La science est devenue rédactrice en chef de la pensée depuis que Kant renonça à nommer Hauptwissenschaft la métaphysique. Laquelle – pour les physiciens – en est restée à Platon. Penrose : « Il semble que le monde physique s'évapore davantage, pour ne presque plus nous laisser que les mathématiques », ordre ultime de la réalité, arrangement harmonique de l'Ame du Monde (Timée). A quoi un mathématicien, qui a occupé la chaire Rouse Ball à Oxford, ou son partenaire Stephen Hawking, titulaire de la chaire lucasienne à Cambridge, reconnaît-il la vérité d'une formule mathématique ? A son « extraordinaire beauté ». Chercher dans Phèdre, à l'ombre d'un platane, un jour de forte chaleur.

On ne sait même pas pourquoi les beaux zèbres dualistes sont rayés. On en est à six explications. 1/ La reconnaissance par les mères de leurs petits zèbres (ou l'inverse). 2/ Un code barre (reconnaissance entre groupes). 3/ Invisibilité individuelle aux yeux des prédateurs. 4/ ou aux yeux des mouches tsé-tsé. 5/ Ventilation : les rayures noires attirent chaleur et lumière, les rayures blanches réfléchissent, ce qui crée un courant d'air. 6/ Auto-organisation, comme les peaux de vaches tachetées, les cristaux de glace, les cellules hexagonales des abeilles, la formation des bancs de poissons. Une septième : éloge de l'ombre et de la lumière. Je ne cite pas.

Pour quelle raison scientifique une solution scientifique serait-elle impossible ?

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