lundi 7 avril 2008

La vie continue


Plage fermée pendant plus de trois mois (perte de synchronisation). La colère a permis l'apparition des premiers individus, je ne parle pas d'uns parmi d'autres mais de ceux qui entrèrent seuls dans la différence. Chante, déesse, la colère d'Achille…Oui, prends tout au début, ça commence comme ça. Agamemnon, champion d'impudence, lui a pris Briséis aux belles joues. Achille verse des larmes de rage et s'assied sur la grève de la mer blanchissante, les yeux sur le large vineux. (Pourquoi vineux ? La couleur, parfois le soir, mais d'abord parce que le mal de mer ressemble au mal d'ivresse). Il renonce à agir. Alors Patrocle s'élance vers la mort avec ses armes et son apparence. Et soudain la solitude existe. Pour Achille, l'amour était un morceau de glace qui lui brûlait la main (Sophocle).

La colère (cholos) était aussi bien une joie intense, elle faisait trembler le corps. Archiloque, le premier des jeunes hommes en colère. Il vécut à l'époque du roi Gygès, créateur des pièces de monnaie.
Il était fier de ses boucles et de sa beauté. Sa mère était esclave, fils bâtard il dut aller à l'aventure. Voilà venir le moi, l'inadapté. J'en ai rien à foutre de la fortune de Gygès (ma traduction). Plus estimé qu'Homère, il écrivit des poèmes si nombreux qu'on les compara aux gouttes de l'océan. Il n'en reste pas de quoi remplir un petit flacon. Et moi, couvrant son joli corps de baisers, je laissai échapper ma vigueur, touchant à peine sa fauve toison. Toutes les îles de la mer Egée entendirent ses insultes adressées à Néobulé dont le père était revenu sur sa parole de la lui donner pour femme : Putain défraîchie ! Il lui fait une telle réputation qu'elle se pend, et que son père se pend à la même branche. Il était craint pour son emportement dans tout le monde connu. C'est le début de la poésie lyrique.

La colère de Xerxès. Tempête : il condamne la mer à trois cents coups de fouets et la fait marquer au fer rouge. La colère de Cyrus. Noyade de son cheval blanc : il fait diviser un fleuve en trois cent soixante ruisselets et veut le rendre si faible qu'à l'avenir les femmes le franchiraient sans se mouiller les genoux.

Ça fait du bien. La colère est la première des quatorze passions dans la Rhétorique d'Aristote. Colère, désir et raison : la tripartition de l'âme (Platon). Désir : C'est le Désir, cher camarade, qui me détruit, lui qui vainc tout (Archiloque). Quant à la raison : tout peut arriver. Le possible n'est pas privé d'existence. Le réel ne suffit pas, il n'est jamais à jour. Le possible est à un événement ce que l'arc-en-ciel est à la lumière blanche. C'est le possible lorsqu'il survient qui nous met en contact avec l'univers. Il se peut que nous vivions dans un monde trop simple (une question de saveur et de couleur des quarks) et alors inexplicable. Les faits, en manque de consistance, s'y produisent l'un après l'autre et de manière aléatoire. Nous ne savons jamais ce qui va arriver, ce que va faire l'autre. Nous comblons les manques avec du langage arbitraire, controversé mais, par définition, poétique (créatif). Pourtant, l'homme pourrait avoir la capacité de penser autant de pensées différentes qu'il est possible d'en avoir (David Lewis).

Le ciel bas, la pluie, on les partage, on n'y pense pas, on sait ce que c'est. Et voilà que les nuages et la pluie seraient des adaptations mises au point par des micro-organismes pour assurer leur dispersion (N.D. Hamilton, professeur à Oxford, le darwinien le plus important du siècle dernier). Cela me rappelle Anthony Garrett Lisi, le surfeur physicien (passé ici en novembre), il est maintenant dans les magazines. Sa théorie du tout, posée sur la plus belle des formes mathématiques ouvrirait à la physique « une porte fermée depuis cent ans » (depuis les cinq articles composés en 1905 par Albert E., un employé de l'Office fédéral des brevets à Berne). Quand vinrent les stoïciens, la beauté n'était plus dans le corps mais au cœur de l'être : dans la sphère et la symétrie. Les mathématiques sont la petite monnaie de la beauté. Grâce et proportion, étonnement et certitude. Cela ressemble au rire, et au soleil.

Berkeley. La nature entière avec toute sa beauté, sa diversité, la matière, les astres, la vie, les plantes, les animaux, le corps humain ne sont là que pour l'âme humaine. Ce ne sont pas les âmes qui sont dans le monde mais seulement le monde qui est dans les âmes. C'est l'intériorité d'Augustin, creusée par le langage.

Être, faire, dire : le noyau humain. On tombe sur lui dans les trois seules formes du pluriel de la seconde personne qui échappent à la règle du – ez : vous êtes, vous faites, vous dites. Cela remonte au premier partage : la chasse. Ce qui était en commun rencontra ce qui était singulier. La différence, la méfiance. Nous ne pouvons pas nous défaire du plaisir de l'hostilité (Hazlitt).

Le spectacle de la mer que nous voyons remuée par la tempête : des vagues hautes comme des maisons surgissent et s'effondrent. Le témoin éphémère, tandis qu'il se perçoit comme individu, comme phénomène éphémère de la volonté, dépourvu de ressources contre la nature furieuse, semblable à un néant fugitif, sent qu'il est la condition de l'objet et par suite le support de ce monde tout entier. Sublime dynamique opposé au sublime mathématique
(Schopenhauer).

Pour Richard de Middletown ( ?-1295) les individus seraient le but de la création.

2 commentaires:

&moi a dit…

Bonsoir,
je suis ravie d'avoir découvert votre blog, depuis 90 je distribue & relit régulièrement " la réforme de l'ornithorynque "; c'est un des plus jolis textes que j'ai lus & qui me fait rire à chaque relecture (encore ce soir, éclats de rire). Je voulais juste saisir l'occasion de vous le dire avant même d'avoir lu vos nouvellesordinaires, encore bravo pour votre érudition joyeuse, S.C

Anonyme a dit…

Pourquoi chercher du sens là où il n'y en a pas ? Quand enseignera t-on dans les universités qu'il n'y a rien et qu'il faut l'admettre ? A ce moment nous commencerons à être humains.